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Où réduire le poids de la dépense publique ?

Par Fabrice Lenglart, ex commissaire général adjoint de France Stratégie*

Le montant des dépenses publiques de la France a atteint près de 1 300 milliards d’euros en 2017. Cela représente 56,5 points de PIB, soit le ratio le plus élevé parmi les pays de l’Union européenne.

Si nous étions dans la moyenne européenne (inférieure de 13 points), nous dépenserions 300 milliards de moins. Si nous étions dans la moyenne des seuls pays d’Europe occidentale (inférieure de 8 points), nous dépenserions 170 milliards de moins.

Au vu de cette situation, France Stratégie estime justifié un objectif de réduction du poids des dépenses publiques de 3 points de PIB en cinq ans, de façon structurelle, c’est-à-dire sous l’hypothèse conventionnelle que la croissance s’inscrira sur son rythme potentiel de moyen terme. Cet objectif permet en effet de dégager des marges de manœuvre en matière d’allègement des prélèvements obligatoires, tout en assurant la soutenabilité à long terme de la dette publique de la France.

Baisser le poids des prélèvements obligatoires ne va pas de soi a priori et en toutes circonstances, mais le niveau très élevé que ces prélèvements ont atteint aujourd’hui en France est tel qu’il fragilise le consentement à l’impôt dans une partie de l’opinion. En outre, il y a une double justification économique à vouloir se doter d’une cible de recettes publiques maximale. Premièrement, c’est limiter les distorsions induites par la taxation, lorsqu’elles sont nuisibles à l’activité.

Deuxièmement, c’est renforcer l’attractivité du pays – ce qui implique de se comparer aux autres pays. Or l’écart entre le taux de recettes publiques en vigueur aujourd’hui en France et la moyenne de celui projeté en 2022 par le quart des pays européens qui présentent les ratios les plus élevés est de 4 points de PIB. Dans ces conditions, chercher à baisser de 2 points de PIB le poids de nos recettes publiques ne reviendrait qu’à diviser par deux l’écart qui nous sépare de nos voisins européens les plus proches.

Dès lors que l’on veut baisser en cinq ans de 2 points de PIB le poids de nos recettes publiques, le poids de nos dépenses publiques doit baisser de 3 points. C’est à cette condition que notre trajectoire de dette restera maîtrisée dans la durée, installée sur une trajectoire graduellement descendante, de près de 100 points de PIB aujourd’hui à un niveau compris entre 70 et 75 points de PIB à horizon 2040.

Cet objectif de baisse de 3 points du poids de la dépense publique en France est-il atteignable ? À l’aune de l’expérience des autres pays européens, la réponse est oui, sans ambiguïté. En effet, 21 pays de l’UE sur 27 sont parvenus à réaliser un effort de cette ampleur au moins une fois au cours des vingt dernières années, parfois dans un contexte de croissance modérée, hors toute période de crise aigüe. Sous l’hypothèse raisonnable que la croissance potentielle de la France se situe aujourd’hui autour de +1,3 % par an et en tablant sur une inflation de l’ordre de +1,8 % par an, réduire de 3 points le ratio structurel des dépenses publiques en cinq ans suppose une quasi-stabilisation de la dépense totale en volume (plus précisément, cela autorise une très légère progression, de +0,2 % par an), soit une progression en euros courants de l’ordre de 2 % par an.

Pour aller plus loin dans l’analyse, France Stratégie suggère de poursuivre le travail de comparaison européenne, en restreignant la comparaison aux seuls pays d’Europe occidentale, c’est-à-dire ceux qui nous ressemblent le plus au regard de la place occupée par la puissance publique dans la vie économique et sociale (Autriche, Allemagne, Belgique, Pays-Bas, Royaume-Uni, Espagne, Italie, Portugal, Danemark, Finlande, Suède).

À quoi sert la dépense publique ? À accomplir les grandes missions de la puissance publique, qui sont au nombre de quatre.

En premier lieu, la puissance publique redistribue des revenus en prélevant des cotisations et des impôts pour verser des prestations sociales. En France, cette mission représente 20 points de PIB. C’est 4,5 points de plus qu’en moyenne en Europe. Les pensions de retraite, qui comptent pour près de 14 points de PIB, contribuent pour 3,5 points à cet écart, car notre pays a fait le choix d’un système par répartition entièrement public et relativement généreux quand on le compare à ceux de nos voisins. Les autres prestations monétaires, qui s’élèvent à un peu plus de 6 points de PIB, recouvrent à la fois les aides sociales (minima sociaux, allocations logement, prestations familiales, etc.) et les autres revenus de remplacement (allocations chômage, indemnités maladie, etc.). Elles sont supérieures de 1 point à la moyenne, mais la performance du système redistributif français apparaît bonne, puisque la prévalence de la pauvreté dans la population hors personnes âgées est plutôt faible comparée à l’ensemble des pays d’Europe occidentale.

En deuxième lieu, la puissance publique fournit des services sociaux et culturels à la population : santé, éducation, accueil et aide à domicile pour certains publics – crèches, aides aux personnes handicapées ou aux personnes dépendantes – bibliothèques et musées, etc. Cela représente 17,5 points de PIB en France, soit un demi-point de plus que la moyenne des pays considérés. La France dépense 8 points pour la santé, soit 1 point de plus. Elle dépense 3,5 points en aides sociales pour l’accueil et l’aide à domicile ; c’est 2,5 points de moins que dans les pays nordiques et 1 point de plus qu’en moyenne dans les autres pays européens. En matière d’éducation, la France dépense 5 points de PIB, soit un peu plus de 0,5 point de moins qu’ailleurs en moyenne. Plus précisément, elle dépense – là encore – sensiblement moins que les pays nordiques, mais elle se situe dans la moyenne des autres pays. Enfin, la France dépense 1 point de PIB pour le loisir et la culture, comme ailleurs en Europe.

En troisième lieu, la puissance publique a une fonction régalienne : défense, police, justice mais aussi administration générale, de l’Etat central comme des collectivités locales. Cela représente au total 9,5 points de PIB, soit 1 point de plus que dans les autres pays d’Europe occidentale. Parmi ces dépenses, le fonctionnement de l’administration générale absorbe à lui seul 6 points de PIB, soit 0,5 point de plus en moyenne qu’ailleurs.

En quatrième et dernier lieu, la puissance publique soutient l’économie marchande, par le biais de l’investissement public, mais aussi de subventions en direction de nombreux secteurs d’activité. L’investissement public – hors social et régalien, déjà comptés dans les postes précédents – représente 2 points de PIB, soit 0,5 point de plus qu’ailleurs en Europe, un surcroît porté par l’investissement local. Les aides à l’économie représentent, elles, un surcroît de 1 point de PIB sur un total de 4 points.

En définitive, le niveau sensiblement plus élevé de la dépense publique en France — et des prélèvements obligatoires destinés à la financer —, comparé aux autres pays d’Europe occidentale, s’explique avant tout par des choix collectifs qui s’inscrivent dans la durée. Nombre de ces choix, assumés, relèvent de la sphère sociale : un système de retraite par répartition qui scelle un pacte de solidarité entre les générations ; une forte socialisation des dépenses de santé et d’éducation ; plus généralement, des aides sociales relativement importantes, qu’elles prennent la forme de prestations monétaires pour les plus démunis et les familles, ou de soutiens à certains publics (jeunes enfants, personnes handicapées, personnes dépendantes, etc.) via le financement de l’aide à domicile ou d’établissements d’accueil. De même, les dépenses militaires sont durablement plus élevées que chez nos partenaires européens.

Il reste que d’autres postes relèvent moins de choix collectifs réels. L’excès du poids des dépenses de fonctionnement de nos administrations centrales comme locales est connu, mais sans doute surestimé. Notre propension à soutenir l’économie marchande via de nombreuses et diverses subventions est peut-être moins connue, et à coup sûr sous-estimée.

Dans ces conditions, comment atteindre un objectif de réduction durable du poids de la dépense publique de 3 points en cinq ans ? Vouloir le faire tout en sanctuarisant la sphère sociale et la sphère régalienne paraît peu réaliste, car cela reviendrait à faire porter l’effort sur seulement un quart des dépenses. Ramener ce quart à la moyenne des pays d’Europe occidentale ne ferait gagner que 2,2 points de PIB ; aller plus loin conduirait par exemple à diviser par deux l’investissement local, qui a déjà beaucoup baissé sur les dernières années.

En revanche, on peut trouver un chemin plus équilibré, avec même une légère augmentation du poids des dépenses d’éducation et de défense et un maintien de celui de l’investissement public, réorienté vers la transition écologique et énergétique. Il suppose de gros efforts hors sphère sociale (dépenses de fonctionnement des administrations centrales et locales, subventions et aides à l’économie) mais aussi des efforts, plus modérés, pour freiner la progression des dépenses sociales (prestations sociales en espèces – y compris retraites – accueil et aides aux personnes). 

* Pour aller plus loin :

Note d’analyse n° 67 de France Stratégie, mai 2018 : « Baisser le poids des dépenses publiques : les leçons de l’expérience européenne », de Vincent Aussilloux, Christophe Gouardo et Fabrice Lenglart

Note d’analyse n° 74 de France Stratégie, janvier 2019 : « Où réduire le poids de la dépense publique ? », de Christophe Gouardo et Fabrice Lenglart.